Les jours de marché à Mondoubleau
- association VU D'ICI
- 15 déc. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 août 2024
LES JOURS DE MARCHÉS A MONDOUBLEAU
Ami de l’histoire locale, ancien 1er vice-président du Conseil général du Loir-et-Cher.
LES CARACTÈRES D’UNE VILLE DE MARCHÉ
Au milieu du 20e siècle, les marchés à Mondoubleau reposent sur une tradition ancestrale : un marché hebdomadaire chaque lundi, et deux foires annuelles, la première à la Mi-carême, la seconde à la Saint-Denis le 9 octobre.
Des lieux sont affectés à ces manifestations. Les places publiques de part et d’autre de l’Hôtel-de-ville, dont l’une est d’ailleurs appelée « Place du marché », et plus à l’Est, au bout de la rue Saint-Pierre, la place Saint-Denis. Sans oublier le « Champ de foire » à la sortie sud de la Porte-Vendômoise, au départ de l’ancien chemin de Vendôme. Concernant la halle sous la mairie, rappelons qu’il s’agissait au 18e siècle d’une halle aux blés. En 1950, elle sert plutôt de salle des fêtes et de simple lieu de passage pour accéder aux bureaux administratifs.
On trouve également des installations pérennes : des cages métalliques sous forme de grilles fixées à demeure sous les arbres place Saint-Denis, et également sous les tilleuls le long du Champ de foire côté ville. Nous verrons plus loin leur usage.
Enfin, deux éléments indispensables à l’époque : un nombre suffisant de cafés facilitant l’accueil et le commerce, ainsi que jouxtant ces lieux de rencontre, des écuries permettant d’abriter les chevaux, car parmi les ruraux venant au marché, certains utilisent encore une carriole.
LE MARCHÉ TEL QUE NOUS L’AVONS CONNU :
UNE NÉCESSITÉ
Dans ces premières années d’après-guerre, des autos circulent, mais en nombre restreint. Marchands, médecins, vétérinaires, notaires, bourgeois, cultivateurs aisés en possèdent une. Les artisans utilisent de petites camionnettes. Certains modèles achetés avant 1940 ont passé quatre ans au repos faute de pneus et d’essence. B14, Rosalie, Celtaquatre vont ainsi côtoyer les récentes Quatre-chevaux, Deux-chevaux, Aronde ou Peugeot 203. Pour autant, beaucoup de ruraux sont dépourvus de voitures à moteur. Nous avons oublié « le temps d’avant », sans grandes surfaces commerciales, ni moyens actuels d’échange. À la campagne, les transactions suivent les usages et les moyens d’alors selon les lieux et les saisons.
Il y a soixante-dix ans, dans les fermes du canton de Mondoubleau, on est abonné à de bien modestes journaux L’Écho de Vibraye dans la partie Ouest, tandis qu’à l’Est on reçoit L’Écho de Brou. Ça n’est pas tant pour les nouvelles d’ordre général, imprimées d’ailleurs avec retard, mais afin de connaître deux types d’informations essentielles : les annonces légales diffusées par les notaires et les cours des productions agricoles sur les marchés de ces chefs-lieux de cantons. La vocation première du marché étant de permettre ventes et achats qui seraient plus difficilement réalisables dans son village. Là où l’on trouve aussi deux organismes essentiels : la Caisse locale du Crédit Agricole Mutuel, et le magasin de la « Franciade », spécialiste des produits et ustensiles indispensables aux cultivateurs et éleveurs. Si l’on ajoute la densité du bocage d’alors, l’éloignement entre les fermes dans un paysage d’habitat dispersé, on conçoit le besoin de rencontres hebdomadaires à la fois sur un plan matériel et psychologique. De nos jours, on saute volontiers dans la voiture pour effectuer une course urgente, pour réparer un oubli. Ce n’était pas la coutume. On attendait le lundi afin de ne pas gaspiller une demi-journée de travail. Aussi, « le peuple des campagnes » a-t-il fréquenté les marchés de façon régulière, à l’exception des domestiques. Ces derniers étant libres seulement pour les foires. Ils y profiteront des bals populaires installés sous des « parquets »(1), mais c’est aussi aux foires, devant un verre de rouge, que se discutera une embauche entre le jeune homme offrant ses services et le « maître »(2) en quête d’un charretier.
(1) Des entrepreneurs de spectacles louent aux communes des constructions légères amovibles offrant aux danseurs un espace abrité le temps de la foire, de la fête champêtre ou de la kermesse honorant le saint-patron du village. De ce fait on devrait plutôt dire : « sur le parquet ».
(2) Le « maître », qu’on prononce « maît’ », est ainsi appelé par ses domestiques. Et souvent par son épouse qui dit rarement : « mon mari ».
AU TEMPS DE LA CARRIOLE
J’ai en mémoire le roulement sourd sur les pavés de grès roussard recouvrant plusieurs de nos rues et places. Prenons au hasard l’une de ces carrioles. C’est le « maître » qui tient les guides de cuir. Il s’est « reblanchi »(3) pour la circonstance. Assis sur le siège plus ou moins rembourré, sous la capote relevée ou non, selon la saison, il dirige le bruyant véhicule en direction de l’écurie qui accueillera son percheron le temps de régler ses affaires. En provenance de Saint-Agil, Choue ou Saint-Marc, il peut « dételer » au « Point-du-Jour » en haut de la rue Prillieux ou bien dans un établissement similaire place Saint-Denis, tout près de l’actuelle maison Consigny. S’il arrive par l’Ouest, il pourra choisir de monter au « Grand Monarque » qui dispose de locaux plus grands et d’un « garçon d’écurie ». Chacun de ces lieux dépend d’un café où il paiera bien entendu son écot. Hors de ces lieux d’arrêts prolongés, en bien des endroits, des anneaux scellés dans les murs permettent d’attacher temporairement le cheval restant attelé le temps d’une livraison ou d’un chargement.
(3) « reblanchi » est un adjectif typiquement percheron pour signifier un effort vestimentaire par rapport aux habits « de tous les jours ».
Sur la banquette auprès de lui, ou derrière sur « la planche » dans le cas où la place auprès du conducteur est occupée par un voisin, on voit une femme. C’est « la maîtresse ». Elle tient serré sur ses genoux un panier d’œufs à destination du coquetier-volailler installé place Saint-Denis. À ses pieds, dans un autre panier, la motte de beurre enveloppée d’un linge. À elle de négocier les œufs et le beurre pendant que « l’maît’ » ira s’asseoir au « Café des Voyageurs » pour proposer à son « marchand de vaches » habituel un lot de « taures »(4). Comme souvent, si le mari « n’est pas donnant », c’est avec le bénéfice retiré de cette vente qu’elle pourra s’acheter « une fantaisie ».
(4) « taures » est le nom en usage pour désigner les génisses.
Ce couple ayant des produits à vendre arrive en tout début de matinée. Poulets, œufs, beurre, impliquent un transport en dehors des heures chaudes. Précautions élémentaires, mais dont les insuffisances feraient aujourd’hui bondir les services d’hygiène.
Un autre lundi, on trouvera, accrochée par des chaînes sous la carriole, « une banne », sorte de vaste caisse en bois. Que contient-elle ? Des « coureux » ?(5). À moins que ce ne soient des poulets aux pattes liées par une corde. Éventuellement un agneau, ou un chevreau… La caisse vide à l’aller ne servira peut-être qu’au retour après achat. Il faut savoir que peu d’éleveurs ont des truies, alors que toute exploitation rurale possède un cochon, deux, voire plus dans « les soues »(6). Où acheter les jeunes ? Au marché bien sûr qui joue un rôle essentiel d’intermédiaire. D’où l’usage des enclos métalliques pour la présentation des animaux.
(5) Les « coureux » sont des jeunes porcs ayant atteint un stade où leur corpulence permet d’entreprendre l’engraissement.
(6) La « soue » est un local bas, souvent accolé à un bâtiment de l’exploitation, réservé à l’engraissement des porcs.
Les cartes postales éditées en grand nombre au début du 20e siècle offrent d’excellentes vues des foires et marchés de Mondoubleau. Si l’on excepte les vêtements, blouse et « gouline »(7) l’aspect général n’avait pas fondamentalement changé cinquante ans plus tard. Certes, le marché aux volailles avait quitté la place au nord-ouest de la mairie, les étalages étaient plus fournis, sûrement plus diversifiés, et des autos avaient en partie remplacé l’unique présence des véhicules à chevaux, mais le panier rond teint en noir se voyait encore de-ci de-là au bras de la fermière, tout comme le grand panier à beurre quadrangulaire. Quant aux carrioles, rue Prillieux, elles n’avaient pas toutes disparu.
(7) « gouline » : bonnet plat en toile fine et dentelle, ainsi appelé au nord du Loir-et-Cher et dans la Sarthe.












