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Le chemin de la ferme

Dernière mise à jour : 10 août 2024

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Si le métier de paysan a profondément changé, l’amour de la terre reste le même.


Je suis fils d'agriculteur. Mes parents avaient une ferme en Mayenne, ils faisaient de l’élevage et un tout petit peu de culture. Dès que je rentrais de l’école, mon plus grand plaisir était d’aller leur donner un coup de main. C’était la partie culture qui m’attirait surtout. Peut-être que j’ai très vite senti que l’élevage était un métier plus contraignant. Il faut une vigilance

Champ de blé de Jacques Louveau (photo Vdi)
Champ de blé de Jacques Louveau (photo Vdi)

continuelle. Même si les robots de traite sont venus alléger le travail, l’éleveur est tout de même obligé d’aller voir son troupeau tous les jours. Moi, je peux rester une semaine sans aller voir mon champ de blé.

Quand je suis entré au lycée, mes parents m’ont orienté vers un bac général C et je les remercie de ce choix car cela m’a ouvert l’esprit. Je me suis ensuite dirigé vers un BTS agricole qui s’appelait, à l'époque, TAGE (Technique Agricole et Gestion d’entreprise). La formation générale que j’avais eu au lycée m’a beaucoup servi. Mon horizon ne se limitait pas au monde agricole. Je ne pensais pas seulement en tant qu’agriculteur, je ne parlais pas seulement d’agriculture. J’étais intéressé par beaucoup d’autres choses.

C’est suite à une annonce que je me suis installé dans la commune du Temple où j’ai été gérant d’exploitation de 1987 à 2007. En 2007, le propriétaire m’a proposé de reprendre l'exploitation avec un bail. C’est une exploitation de 235 hectares séparée en deux sites distants de 6 km où je cultive du blé, du lin, du colza et de l’orge. Dans les années 60, mon prédécesseur avait creusé un bassin pour récupérer l’eau de pluie venant du drainage des champs. Je ne manque donc pas d’eau. D’ailleurs, dans la région, si nous connaissons une sécheresse au niveau des nappes phréatiques ou des cours d’eau comme partout ailleurs, il n’y a pas de sécheresse en surface. Les pluies, chez nous, ont été suffisantes. Cette année, les cultures ont bien poussé.

Mes terres ont un sol limoneux, comme les autres terres de la région. Elles ont un rendement moyen d’environ 70 quintaux l’hectare. C’est leur capacité, je ne cherche pas à produire plus.

Au début, je disais : “je suis agriculteur”,  maintenant je préfère dire “paysan”.

Quand je suis devenu agriculteur, le monde dans lequel je me suis retrouvé n’était plus celui de mes parents,

il avait profondément évolué. Le temps de la terre est un temps long mais tout à coup nous avons dû répondre à des changements qui devaient se faire rapidement. Ce n’est pas vraiment en cohérence avec ce qu’exige notre métier mais c’est l’administration qui décide et nous n’avons pas le choix.

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La part administrative est devenue de plus en plus contraignante, alors qu’avant, le métier d’agriculteur était synonyme de liberté.

Le premier coup d’arrêt à cette liberté, c’est la PAC qui l’a donné en 1992. Des directives ont été instaurées et des normes instituées visant à établir de “Bonnes conditions agricoles et environnementales” (BCAE). Les aides attribuées aux agriculteurs dépendaient – et dépendent toujours – de l’observance de ces directives et du respect de ces normes. À partir de ce moment-là, il a fallu tout écrire, tout consigner : les doses d’apports en azote qui devaient respecter les zones dites “vulnérables (et nous sommes en zones vulnérables), l’utilisation des produits phytosanitaires, le maintien d’un certain pourcentage de terre en Surface d’Intérêt Écologique (*), etc., etc.


(*) Surface d’intérêt écologique. Les agriculteurs disposant de terres arables d’une superficie supérieure à 15 hectares doivent garantir qu’au moins 5 % de leurs terres constituent une surface d’intérêt écologique, afin de préserver et d’améliorer la biodiversité dans les exploitations agricoles.


Malheureusement, on en est arrivé à devoir appliquer des règles administratives qui sont en contradiction avec la réalité des terres et avec la météo. Avant, on organisait notre journée comme on l’entendait, ou plutôt comme on sentait qu’il fallait le faire. On choisissait de cultiver telle ou telle parcelle, d’y semer telles ou telles céréales. On n’avait de compte à rendre à personne. J’aimais cette liberté. Elle était un élément essentiel de notre métier. Pour donner un exemple des contraintes inadaptées qu’il nous faut respecter aujourd’hui, il y a l’obligation de semer les couverts végétaux (*), entre une culture récoltée l'été et une implantée à l'automne, avant le 15 août.

(*) Les couverts végétaux sont constitués d'un ensemble de plantes semées ou spontanées dont l'objectif est de protéger et de fertiliser la terre entre deux cultures.

Cette année, pas de problème, il a plu ! Ce n'était pas le cas, l’année dernière et certaines autres années où il nous a fallu semer sur des terres sèches. On y est obligé alors même que l’on sait que les cultures ne lèveront pas. C’est une aberration ! En 2022, on a eu une dérogation jusqu’au 1er septembre mais il n’avait toujours pas plu à cette date... En cas de contrôle, il faut absolument que ce soit semé aux bonnes dates même si ça ne lève pas !

L’administration ne tient pas compte du bon sens paysan.

Je sais quand il faut travailler la terre, je sais quand il faut semer et je connais les bonnes conditions pour que ça lève. Mais si je ne l’ai pas fait selon les normes administratives, une partie des primes PAC seront supprimées.

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Auparavant je pouvais faire comme je voulais dans le choix de mes plantations. Aujourd’hui j’ai des règles à respecter. J’ai le droit de faire le nombre d’hectares que je veux mais en respectant une rotation sur cinq ans, par exemple, blé-blé-colza-maïs-orge. Les syndicats agricoles interviennent quelques fois pour essayer d’obtenir un peu plus de souplesse. Il y a des petits ajustements mais qui restent à la marge. La grande ligne reste toujours la même au niveau national : il faut se conformer aux directives européennes.

Une des Bonnes Conduites Écologiques voulues par la PAC concerne l’entretien des haies.

Champ de blé de Jacques Louveau bordé de haies  (photo Vdi)
Champ de blé de Jacques Louveau bordé de haies (photo Vdi)

La nouvelle PAC (2023-2027) a décidé que, désormais, à partir du 15 mars et jusqu’au 15 août, l’entretien et l’élagage des haies ne sont plus autorisés. Je n’ai donc pas le droit de m’occuper de mes haies pendant cette période.

J’ai un total de 26 km de haies à entretenir sur mon exploitation. C’est un travail conséquent. Etant donné que je ne suis plus autorisé à m’en occuper pendant la période estivale, cela devient compliqué. C’est vrai que j'ai plus de temps l’hiver, mais le problème c’est que l’hiver, il pleut !

Le sol, au pied des haies, est mou. Cela rend impossible l’utilisation d’un engin.

Par contre, la DDE (Direction Départementale de l’Equipement) n’a pas les mêmes obligations pour les haies côté routes. Et pourtant, ce sont les mêmes haies et ce sont les mêmes oiseaux qui, au printemps et en été, sont en pleine nidification !

Il y a un autre sujet qui fait polémique en ce qui concerne les haies. Tout le monde le sait : les haies améliorent le bilan carbone. Les paysans sont donc incités à en planter – ou à en replanter. S’ils le font, ils reçoivent des subventions. Mais, qu’en est-il de celui qui a préservé ses haies ? Eh bien, il ne reçoit rien… C’est mon cas, comme je l’ai dit, il y a 26 km de haies sur mon exploitation qui n’ont jamais cessé de faire leur travail mais, moi, je ne suis pas considéré comme ayant agi pour l’amélioration du bilan carbone et je ne touche rien.

Un agriculteur aujourd’hui travaille beaucoup plus d’hectares qu’il y a 30 ans ou 40 ans.

Récolte de blé tendre semé en octobre 2022,  récolté en juillet 2023  (photo Vdi)
Récolte de blé tendre semé en octobre 2022, récolté en juillet 2023 (photo Vdi)

Quand j’ai débuté dans le métier, on disait, qu’en système “grande culture”* il fallait “un homme pour 80 hectares”.

Système grande culture

Les céréales (blé, orge, maïs…), les oléagineux (tournesol, colza, soja…) et les protéagineux (pois, féveroles…) composent le secteur des grandes cultures. https://www.anefa.org › métiers

Il y a 20 ans, on disait qu’il fallait “un homme pour 150 hectares” et aujourd'hui, on dit qu’il faut “un homme pour 240 hectares”. On a gagné en productivité mais il a fallu repenser notre travail et faire des choix.

Pour ma part, je travaille seul mes terres. J’ai cette possibilité parce que je travaille sans labour. C’est un choix que j’ai fait il y a 20 ans, pour simplifier mon système de travail. La pratique du labour est onéreuse en temps, en main-d'œuvre, en matériel. C’est en fait, un de nos principaux postes de dépenses.

Cheminées de ventilation pour refroidir le blé  et éviter le développement des insectes  (photo Vdi)
Cheminées de ventilation pour refroidir le blé et éviter le développement des insectes (photo Vdi)

Se passer de labourer est devenu possible parce qu’on a eu à notre disposition des produits désherbants, comme le glyphosate. C’est petit à petit que j’ai cessé de labourer tout en observant attentivement ce qui se passait. Sans labour, et en utilisant un désherbant, un homme sème 25 hectares par jour alors qu’en labourant le même homme ne fait que cinq hectares dans le même temps. Sans labour, je suis à 9 litres de fuel par hectare, dans le système traditionnel, j’avais besoin de 45 à 50 litres de fuel.

À cela s’ajoute le fait que, lorsqu’on laboure, il faut employer deux tracteurs, un pour le labour et un pour le semis. Sans labour, je vais pouvoir, d’une part, supprimer un tracteur et, d’autre part, avoir besoin d’un tracteur moins puissant.

Sans labour, je gagne sur plusieurs plans – en temps, en productivité et en réduction de l’usure de mon matériel – mais il faut savoir travailler avec son sol. Faire le choix de ne pas labourer, en général, ce n’est pas se passer définitivement du labour. Il arrive, par exemple, que, sur un terrain humide, le sol se compacte. Le labour permet de casser les mottes compactées. Sans labour, le sol compacté reste compacté. C’est pour ça qu’il m’arrive de labourer certaines parcelles pour redonner de la souplesse au sol.

Par ailleurs, au contraire de ce que redoutent certains, la vie microbienne de mon sol, loin de diminuer, s’était nettement améliorée.

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Alors que le passage de la charrue détruit les bactéries et les champignons qui fertilisent le sol, l’utilisation du glyphosate, à doses réfléchies n’agit que sur les mauvaises herbes. Il rend la terre propre, prête à être ensemencée. La vie du sol n’est pas perturbée.

Le glyphosate a mauvaise presse… À l’origine, il était autorisé 7 à 8 litres l’hectare ; pour ma part, je l’utilise à 1,5 litre l’hectare. Je mets le glyphosate avant de semer, jamais après. Il sert à faire une page blanche, à tuer toutes les herbes présentes dans la terre pour implanter la nouvelle culture et lui permettre de se développer. Le labour, lui aussi, enterre toutes les mauvaises herbes pour faire une page blanche. Mais, à partir du moment où je ne laboure plus, je ne peux pas me passer d’herbicides.

Les médias relaient des discours de méfiance excessive. Certains en viennent à craindre tout ce qu’on fait de nouveau et, de plus, à imaginer qu’on leur cache sciemment la vérité. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, on utilise beaucoup moins de produits phytosanitaires. C’est vrai, que dans les années 85 à 90, on en a fait un usage excessif. La tendance actuelle va dans le sens d’une interdiction totale de ces produits. Mais attention ! Si les autorités, européennes ou françaises, décident la suppression de tout produit phytosanitaire, cela veut dire que toute l’agriculture française passe en bio. On pourra toujours nourrir la population française mais pas au même prix pour le consommateur.

Actuellement, je peux vivre sur mes 230 hectares de culture. Demain si je dois passer en bio, il me faudra du matériel spécifique, passer plus de temps sur mes parcelles et trouver de la main-d’œuvre alors que je travaille seul aujourd’hui. Et toute paire de bras a un coût.

On parle aujourd’hui d’agriculture conventionnelle, biologique, durable, raisonnée. Je me situe du côté de l’agriculture raisonnée. C’est concrètement ce que je fais : toutes mes interventions sont raisonnées. Quand je mets un produit sur un champ, c’est après avoir réfléchi et avoir considéré que cela était nécessaire. Et non pas, parce qu’on m'a dit de le faire. Par exemple, il m’est arrivé de constater une invasion de pucerons sur le maïs, deux jours plus tard, je remarque qu’il y a des larves de coccinelles. Je décide, donc, de ne pas traiter et de laisser les coccinelles faire le boulot. Pour les fongicides sur le blé, on est plus souvent en préventif qu’en curatif. Je raisonne en fonction de la météo du moment car la maladie y est très sensible. S’il n’y a pas de risque je ne traite pas.

La météo est importante mais, finalement, c’est surtout la bourse que je regarde. Je suis de près la cotation de la bourse aux grains. Cela me permet de savoir si je gagne ma vie ou non. Est ce qu’on est dans une période ascendante ou descendante ?

glyphosate

Si Poutine lâche une bombe sur le port d’Odessa, en fait, ça flambe d’un coup. Ça se joue en moins de 24h. Il y a des paramètres qui nous échappent. Le cours du blé est un système complexe qui repose sur la vente des surplus de chaque pays. En gros, et en virtuel, il est vendu 5 à 10 fois la production mondiale. Ce n’est donc pas un cours national, ni même européen, c'est un cours mondial. Les ressentis font la pluie et le beau temps du marché. Les fonds de pension jouent un rôle crucial. Ce sont des leviers très puissants.

Les trois quarts de la production partent à l’export. C‘est le courtier qui nous fait les factures car toutes les transactions sont taxées et passent par lui. Même si je vends à mon voisin je dois passer par un courtier.


Composition graphique de Marc Adato, La Fontenelle
Composition graphique de Marc Adato, La Fontenelle

En fait, être paysan, c’est faire plusieurs métiers à la fois : agriculteur, mécano, comptable et juriste... Il faut, en plus, savoir se servir des nouvelles technologies. Il existe différentes applications qui permettent aux agriculteurs de contrôler leur récolte à distance avec une vue satellite. Toutes mes interventions dans les champs sont enregistrées sur mon ordinateur. J’utilise des logiciels de gestion de parcelles agricoles où je note ce que j’ai semé, ce que j’ai traité, la récolte… J’ai ainsi un visuel sur mes champs. Par exemple, sur cette image, on voit que j’ai semé du colza le 21 août, j’ai prévu de le récolter vers le 20 juillet.

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Je peux retrouver sur mon écran tout l’historique des cultures depuis 2013.

On peut voir que j’ai mis de l’apport organique, j’ai traité au glyphosate avant de semer, j’ai semé et à ce jour, voilà ce que j’ai fait en traitement sur le champ. Je peux aussi contrôler si j’ai bien utilisé les produits homologués. Je gère également tous mes stocks.

Un satellite passe régulièrement sur toute la région et des photos sont prises en infrarouge. De cette manière, je peux voir l’état végétatif de mes champs, c’est-à-dire si la pousse prend du retard ou si elle est en avance. La couleur change (du rouge au vert) suivant l’intensité de végétation, plus il y a de récolte plus la parcelle est indiquée de couleur verte.

Sur Spotifarm, je fais ce que j’appelle mon tour de plaine virtuelle. Le logiciel fait une pesée d’azote et je peux la voir sur mon écran sans aller dans le champ. Pour faire mon bilan azote, je vais me servir de ces données au printemps. L’azote est l’un des nutriments des plantes (azote, potasse, phosphore). L’azote est utile pour la croissance de la plante. La plante absorbe une certaine quantité de ce nutriment par le sol, mais pour arriver au rendement, je dois lui apporter le complément nécessaire d’azote. Le bilan azoté effectué en février me permet de calculer le taux utile pour éviter l’excès de nitrate dans l’eau.

Il y a 30 ou 40 ans, plus on produisait plus on avait des revenus mais ce n’est plus le cas. En France, le revenu agricole n’a pas bougé depuis des années (même si j’ai vendu cette année mon blé plus cher depuis l’invasion de l’Ukraine !). Avant, je ne le vendais pas plus cher qu’en 1983 ! En 1983, je vendais le blé à 130 francs le quintal. Si on convertit les francs en euros et le quintal en tonne (qui est la référence aujourd’hui) (*), c’est comme si j’avais vendu mon blé 198 euros la tonne. Aujourd'hui je le vends 205 € la tonne. Le calcul est facile, on aboutit à une augmentation de 7 euros en 40 ans !

C’est vrai que nous avons reçu des primes PAC pour compenser le manque à gagner. Mais il a fallu agrandir les exploitations pour pouvoir assurer un minimum de revenu. L’agriculture a pu survivre en France parce qu’elle s’est adaptée pour gagner en productivité. Les agriculteurs n’ont pas tenu absolument à s’agrandir mais les politiques mises en place ont fait que pour survivre, les exploitations ont dû s’agrandir. On ne pouvait pas faire autrement.

La ferme France reste la même mais nous sommes moins de bras à travailler dessus.

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Malgré toutes les difficultés, qu’est ce qui me passionne donc tant dans ce métier ? La liberté ! La liberté, malgré toutes les contraintes !

Personne n’est là pour m'empêcher de m'arrêter pour discuter avec mon voisin ou pour aller boire un café si j’en ai envie. Malgré tous les bouleversements, toutes les contraintes, toutes les incertitudes, je me sens libre de gérer mon temps. Et j’ai le privilège de travailler dehors, dans la nature, avec la nature.








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